Quantcast
Channel: HALIFAX GROUPES LOURDS FRANCAIS SQUADRONS 346 et 347 R.A.F
Viewing all articles
Browse latest Browse all 435

LE JOUR OU DES FRANCAIS ONT BOMBARDE PARIS

$
0
0

LE JOUR OU DES FRANCAIS

ONT BOMBARDE PARIS.

Le 3 octobre 1943, douze chasseurs-bombardiers Boston venus d'Angleterre attaquaient la sous-station de l'E.D.F. de Chevilly-Larue, près d'Orly.

Jusque-là, rien d'anormal. L'objectif situé au bord de la Nationale 7, alimentait en courant toute la région parisienne et un certain nombre de voies électrifiées de la S.N.C.F. Il entrait dans la stratégie des Alliés de détruire les ressources énergétiques des pays occupés et, par ricochet, des Allemands.

Ce qui était nouveau dans ce raid se déroulant tout près de Paris, c'est que les équipages des Boston étaient tous français. Dans l'un des appareils se trouvait un commandant Gorri, pseudonyme de Michel Fourquet, futur chef d'état-major général de l'armée française sous la Ve République.

carte Scan (366)

Le commandant Michel Fourquet, alias "Gorri" chef du Lorraine du 15 mars au 6 novembre 1944.

Mendès-France n'avait pas abordé cette mission sans scrupules profonds: "Des français peuvent-ils bombarder le territoire national, même si ce territoire est occupé par l'ennemi ? Pendant la première guerre mondiale, nos pères ont bien bombardé Lille. Si nous n'accomplissons pas nous-mêmes ce raid difficile, des aviateurs anglais le feront. Jetteront-ils leurs bombes avec la même précision angoissée que nous ? Leur désir d'épargner des vies civiles peut être grand, mais ils n'iront pas jusqu'à prendre des risques supplémentaires..."

Ces risques supplémentaires, les Français les prirent: "On nous avait donné des instructions très strictes. Si nous étions touchés, nous devions éviter de nous écraser sur Paris ou sur toutes agglomération civile. Nos points de chute éventuels étaient la Seine ou le polygone de Vincennes."

carte Scan (367)

C'est un des héros inconnus du 3 octobre 1943 qui parle. Guy Marulli de Barletta. Néà Shanghai, fils d'un architecte paysagiste qui travailla en Chine avant la guerre, faisait partie de l'équipage du lieutenant Lucchesi, avec un jeune aviateur du nom de Godin et Jean-Annet d'Astier de la Vigerie, porteur d'un nom célèbre.

" C'est explique Marulli de Barletta, le fils du général François d'Astier et le neveu d'Emmanuel et de Henri d'Astier. Les d'Astier ont toujours joué un rôle important dans la politique française. François était gaulliste, Henri monarchiste, Emmanuel à la fois gaulliste et compagnon de route des communistes...

Jean-Annet

S/Lt Jean-Annet d'Astier de La Vigerie "alias Jean Baralier au Groupe LORRAINE" Navigateur-observateur.

Fils du général de corps aérien François d'Astier de la Vigerie (compagnon de la Libération) qui commanda l'aviation française dans le Nord de la France (la ZOAN) en mai et juin 1940 et qui rejoignit le général de Gaulle à Londres qui le nomma Commandant en chef des Forces Françaises Libres le 1er décembre 1942.

(collection: Geoffroy d'Astier de La Vigerie)

Jean-Annet d'Astier de la Vigerie

Notre camarade Jean Annet d'Astier de la Vigerie nous a quittés le 13 décembre 1976. D'un caractère très entier propre à la famille d'Astier, il n'accepta jamais la défaite de 1940. Il avait préparé Polytechnique et s'était engagé dans l'aviation. A la capitulation, démobilisé, il entre aux Affaires indigènes.

Pour la première fois depuis 1940.

"Nous voici donc, Jean Anet, Godin, Lucchesi et moi, dans notre Boston. Il est près d'une heure de l'après-midi. Par un magnifique dimanche d'automne, nous gagnons le continent en rase-mottes. Tactique utilisée pour échapper aux radars allemands, à la flak, aux chasseurs ennemis.

008 

La ferme carrée de Tocqueville près de Biville.

- Patureau ?

- Tout va bien. Temps splendide... Juste de gros cumulus, mais loin, très loin au-dessus, peut-être à 1000 mètres.

Dans la deuxième boîte, Mendès France fait un signe au navigateur de l'avion qui est à sa droite. Juste un petit signe d'amitié et tous deux se replongent dans leurs cartes.

Cap sur Guilford. Puis on suit la voie ferrée jusqu'à Horsham. Ensuite, c'est Hayward, Heat et Hallsham, où l'on rencontre la mer.

- Alors, Pat ?

- Nous avons atteint la côte à l'heure prévue, à quelques secondes près... Visibilité excellente. Pourvu que ça dure !

- Je vais descendre pour faire un peu de rase-vagues.

- Because la détection, précise Sinibaldi.

- A propos, Sini, il faut essayer les mitrailleuses. Allons-y ! Les mitrailleurs ôtent verrous et crans d'arrêt. Les balles déchirent la surface de l'eau.

011 

Les sélecteurs de bombardement sont placés en position. Les navigateurs règlent échelles graduées et cadrans qui, tout à l'heure, permettront un tir précis.

Une ligne grise apparaît à l'horizon. La côte française se rapproche. Dans quelques minutes, la vitesse sera de 410 km/heure. Au ras des vagues jusqu'au bout, la formation doit, littéralement, bondir au-dessus des falaises, en face de Biville, un village situé entre Dieppe et le Tréport.

La formation est toujours au ras des vagues. Les falaises de Normandie arrivent à 110 mètres/seconde. Derrière, se trouve Biville

015 

(collection: Ducastelle Philippe)

Passage du Groupe LORRAINE en rase-mottes au dessus de la ferme carrée entre Biville et Tocqueville.

Le colonel n'attend pas le dernier moment pour donner au manche une légère pression. Il "saute" la falaise avec une bonne marge de sécurité, pour ne pas surprendre ses ailiers.

- Tout va bien Sini ?

- Les autres suivent, mon colonel...

On perçoit à peine quelques rafales de mitrailleuse.

- Peu de chose, dit Mendès France. Les informations données étaient bonnes. L'effet de surprise paraît complet...

- Biville, 13h32. Deux minutes de retard sur le timing prévu...

Les villages défilent. Succession vertigineuse des champs et des bois. Le vol en rase-mottes effraie les vaches, qui se mettent à courir. Il faut surveiller sans arrêt les lignes à haute tension. Rien n'est jamais acquis : il y a parfois des pylônes plus hauts que d'autres...

- Voici l'objectif, mon colonel !

Patureau n'a pas fini de crier que la Flak se déchaîne. La centrale de Chevilly-Larue est bien défendue et quoi de plus naturel : chaque année, c'est un milliard de kilowatts/heures venant des barrages du Massif central qui passe par ces transformateurs.

En pressant sur le bouton qui va libérer les bombes, Patureau commence à compter:

- Un... deux... trois... quatre...

Chaque observateur en fait autant. Hennecart, Baralier "Pseudonyme de Jean-Annet d'Astier de La Vigerie" et Balcan lâchent quatre bombes chacun.

Les équipages des deux boîtes suivantes, pris à partie par les mitrailleuses et les canons de 88, contemplent les explosions : énormes court-circuits dans le réseau des câbles, incendies des bâtiments, gros nuages de fumée... Et, soudain, une immense gerbe de flammes à dominante orange.

La première boîte a déjà traversé le rideau de la Flak. Elle met le cap sur le nord-est.

- Mon colonel, Lucchesi semble touché !

Tourné vers l'arrière, Sinibaldi observe avec une attention fébrile le reste de la formation.

Quelques secondes plus tard, Mendès France repère la première boîte. Immédiatement, il comprend qu'un avion est en difficulté : le J, dont le moteur droit laisse échapper une fumée noire...

Décidément, la première boîte n'a pas eu de chance : Lucchesi est à la traîne. On l'entend dans la radio :

- Mon moteur droit m'a lâché. Un éclat dans les cylindres... Pouvez-vous m'attendre ?

Heureusement, il n'y a pas d'incendie. Lucchesi s'est dépêché de couper essence et allumage.

Le colonel doit prendre une décision rapide. Normalement, Rancourt devrait refuser. Il ordonne cependant aux autres :

- On attend Lucchesi... Ralentissez !

Il reste environ dix minutes avant le rendez-vous de Crèvecoeur. Traîner davantage pour attendre Lucchesi serait suicidaire.

D'ailleurs, on dirait bien que ça ne s'arrange pas pour le J. Lucchesi donne de mauvaise nouvelles:

- Impossible de ma maintenir à cette vitesse. Le moteur gauche commence à cafouiller !

- Désolé, Lucchesi. Nous sommes déjà en retard sur l'horaire. Bonne chance !

Le colonel reprend une vitesse voisine de 500 km/heure.

L'autre moteur du J s'arrête au sud de Compiègne. Lucchesi évite de justesse une ligne électrique. Il n'a que quelques secondes pour choisir en rase campagne, quelque part entre Creil et Beauvais, un terrain favorable.

Région difficile, très boisée, parfois marécageuse, vallonnée... Mais Lucchesi fait des prodiges. Il réussit à n'accrocher qu'une haie avant de labourer un champ, qui lui a paru relativement long et plat. Baralier, le plus exposé, a une grave blessure à la jambe droite.

Lucchesi est évanoui, mais, apparemment, il n'a rien de sérieux. Ses deux mitrailleurs, Marulli et Godin, le tirent de l'avion et le cachent- dans les fourrés, à deux cents mètres de là. Il se réveille peu après : il souffre de la poitrine. Une auscultation sommaire lui permet de constater qu'il a une côte cassée. Il souffre également d'une cheville.

- Il ne faut pourtant pas traîner, affirme Baralier. Les Boches risquent de rappliquer...

- Je ne peux pas marcher, dit Lucchesi. Mais vous, ne restez pas là !...

En fin de compte, Marulli et Baralier s'éloignent. Godin reste avec Lucchesi. Peu après, ils entendent du bruit autour de l'épave. Godin va discrètement aux nouvelles. Ils revient presque aussitôt :

- Il y a deux types avec des fusils de chasse. Mais ça ne doit pas être des chasseurs, parce qu'ils parlent allemand...

En fait, ce sont bien des chasseurs, mais ce sont aussi des Allemands. Ils ont parfaitement compris qu'après un atterrissage pareil, il y a une bonne chance pour qu'un aviateur au moins n'ait pu aller très loin. Ils battent les buissons en criant :

- Raus ! Raus !

Ils se rapprochent. Soudain, Godin se dresse en levant les bras.

Les Allemands poussent des cris de joie.

Ils rattraperont peu après Baralier. Lucchesi et Marulli parviendront à s'en tirer. Le premier rejoindra le groupe Lorraine le 10 novembre; le second le 20 décembre.

(Quelques textes du livre, " LES BOMBARDIERS DE LA FRANCE LIBRE" (Groupe Lorraine) de François Broche)

Une heure plus tard exactement, nous survolons l'étang des Essarts. Nous sommes presque sur l'objectif. Le coeur serré, nous avons aperçu la Tour Eiffel, le Sacré-Coeur. Certains revoyaient Paris pour la première fois depuis 1940. Notre formation s'est scindée, huit appareils montent à 500 mètres. Ils lâcheront leurs bombes à cette altitude. Les quatre autres aborderont la sous-station électrique en rase-mottes, à vingt mètres du sol. Nous sommes de ceux-là.

C'est risqué, nous le savons, mais c'est le seul moyen de placer nos quatre bombes de 500 livres en plein sur les transformateurs. L'opération réussira au-delà de tout espoir, puisque la sous-station sera hors de service pour le reste de la guerre. Même après la Libération, il y aura encore à Paris des coupures de courant dues à ce raid du 3 octobre, et c'est seulement en 1948, cinq ans après, que Chevilly-Larue fonctionnera à nouveau normalement.

Les choses se sont gâtées au retour. Tandis qu'une partie de la formation survole les Gobelins, puis Reuilly, passe au-dessus de Vincennes où se dispute au sol, un match de football, atteint Saint-Just-en-Chaussée où une fête foraine bat son plein, images que les aviateurs français enregistrent au passage avec Nostalgie, l'un des quatre Boston qui viennent d'opérer en rase-mottes, celui d'Yves Lamy, est touché par une rafale de mitrailleuse lourde. L'un des moteurs flambe, il perd de la vitesse. Selon les consignes reçues, Lamy se dirige vers la Seine pour s'y jeter au pont de Tolbiac.

GroupeLorraine

(collection: Geoffroy d'Astier de La Vigerie)

Pas un civil n'est blessé. Mais Lamy et ses trois coéquipiers sont tués. Au même moment, notre Boston est touchéà son tour. Nous essayons bien de gagner la côte anglaise. Mais impossible de rejoindre la formation. Notre pilote est obligé de faire un atterrissage de fortune contre une colline, près de Liancourt. Le choc est terrifiant. Un réservoir d'essence qui explose me brûle le visage, les cheveux. Je m'escrime à sortir le pilote, Lucchesi, assommé et blessé. Je parviens aussi a cacher Jean-Annet d'Astier grièvement blessé, une jambe fracturée, dans une meule de foin.

Crash3

(collection: Geoffroy d'Astier de La Vigerie)

Il faut faire vite, car déjà les Allemands arrivent, effectuant une immense battue pour nous retrouver. Ils mettent la main sur Jean-Annet, sur Godin. Ils ne trouvent ni Lucchesi, caché dans un buisson, et qui regagnera Londres, ni moi. Recueilli par un aubergiste, pris en charge par un réseau de résistance, je passerai les Pyrénées sans guide, en pleine tourment de neige, pour retrouver, via les prisons espagnoles et Gibraltar, la base anglaise de Hartford Bridge, mon point de départ en ce beau dimanche ensoleillé du 3 octobre 1943..."

Ils avaient rempli leur mission très spéciale. Détruire l'objectif de Chevilly-Larue sans toucher aux cités ouvrières du Chemin-Vert, qui se trouvent à proximité des transformateurs. S'écraser, en cas de catastrophe, dans la Seine ou en pleine nature, sans toucher à un seul cheveu de la tête d'un civil.

Tout cela pratiquement en marge de l'histoire officielle, puisque les relations de la Seconde Guerre mondiale négligent totalement ce petit raid dominical. On ne sait pas que des Français ont bombardé des cibles françaises afin de limiter les risques pour la population. Souvent à leur propre détriment. Jean-Annet d'Astier ne s'est jamais entièrement remis de ses blessures. Trente ans après, il est aujourd'hui presque paralysé.

CitationJ-A

Son ami Marulli de Barletta est resté, indirectement,dans le "bombardement". Interprète traducteur technique, il est devenu, à la base de Rochefort, l'un des instructeurs des élèves officiers libyens, chargé notamment d'un cours technique en armement et en bombardement.

Mais ces futurs pilotes de Mirage ne sont pas des élèves faciles: Il faut leur inculquer tout d'abord les mots techniques, bref, se transformer en professeur de français."

Après un examen d'entrée, l'armée de l'air française envisage de les répartir dans les promotions françaises, à raison de deux par promotion. Pour les isoler et les inciter à faire des progrès.

Des Boston britanniques aux Mirages libyens. Un destin qui passe par Chevilly-Larue.

Source: Article paru dans le journal L'Aurore du 25 septembre 1973

(Collection: Geoffroy d'Astier de La Vigerie)

 


Viewing all articles
Browse latest Browse all 435

Trending Articles